L'impact du transgénérationnel sur le modèle familial


L'impact du transgénérationnel sur le modèle familial

La référence aux travaux de M. BOWEN et d’I. BOSZORMENYI-NAGY sur les thérapies intergénérationnelles demeurent incontournables. L’idée fondamentale de l’ensemble de ces travaux est que l’étude des problèmes actuels trouve un éclairage particulier à la lumière des conflits intériorisés dans le passé, en particulier familial. De génération en génération, se transmettrait ainsi un certain « héritage psychologique » avec du bon et du mauvais, dont la distinction ne serait pas aisée.

Sensible aux transmissions intergénérationnelles, I. BOSZORMENYI-NAGY définira le concept de loyauté pour décrire le lien résistant et profond unissant entre eux les membres d’une même famille. Ce lien transcende tous leurs conflits. La loyauté est une force régulatrice des systèmes. « Le contexte de loyauté est issu soit d’un rapport biologique de parenté soit d’attentes de réciprocité résultant d’un engagement relationnel. Dans les deux cas, le concept de loyauté est de nature triadique. Il implique que l’individu choisisse de privilégier une relation au détriment d’une autre » (cf. DUCOMMUN-NAGY, 1995)

Selon I. BOSZORMENYI-NAGY, les familles détiennent un « livre de compte » où sont consignés les gains et les dettes (c’est-à-dire les fautes ou transgressions commises, ou bien encore, les mérites). Tout se passe comme s’il existait une loi implicite imposant le remboursement ou la réparation de chaque dette. Si cette loi n’est pas respectée, le poids de la dette sera transmis à la génération suivante, où l’un des membres peut se voir déléguer (Stierlin, 1977) le rôle de veiller au remboursement, ou à la retransmission de cette fonction vers un descendant. Le patient désigné est pour I. BOSZORMENYI-NAGY, celui qui est lié par des loyautés invisibles à cette fonction d’épurer les dettes portées par sa famille.

Pour A. ANCELIN-SCHUTZENBERGER, il est très important d’admettre que des secrets dramatiques puissent exister dans toutes les familles. Selon elle, les secrets le plus souvent gardés sont : le vol, le viol, le séjour en prison, le séjour en hôpital psychiatrique, l’inceste, l’homicide, descendre de quelqu’un qui a tué, les faillites et les remariages, les enfants nés sous X. Mettre un nom sur les choses est fondamental pour permettre à la personne de guérir et de se retrouver soi-même. Sinon, c’est l’effet Zeigarnik (B. ZEIGARNIK) qui se produit : la personne peut ruminer sans arrêt et sans fin des « tâches inachevées » comme un secret qui n’a pas été révélé et qui peut se transmettre de génération en génération jusqu’à ce qu’une réparation symbolique permette enfin un jour à la famille de terminer le deuil et d’en être délivrée, parfois plusieurs générations après.

Selon G. AUSLOOS, les secrets, les règles qu'ils entraînent, les mythes qu'ils fondent contribuent à éviter des changements vécus comme menaçants. Ils contribuent à maintenir l'homéostasie, cet état systémique idéal du non-changement. Les secrets apparaissent comme des freins empêchant tout changement vrai et donc toute évolution du système. Dans la mesure où le patient désigné est souvent le « membre homéostatique », le gardien de l'homéostasie familiale, il n'est pas étonnant que ce soit en lui que s'incarne le paradoxe que l'on cache et du mythe que l'on voudrait afficher. Pour lui plus que tout autre il est interdit de savoir et interdit d'oublier. G. AUSLOOS explique que le message qui est constitué en secret se transmet grâce aux règles qui empêchent sa révélation. Par le jeu des stagnations relationnelles qu'elles entraînent et des dettes de loyauté qu'elles engendrent, les règles prennent de plus en plus d'importance. Leur impact mettra alors en évidence ce qu'elles étaient censées cacher. Mais du fait même de cette évidence, personne ne pourra comprendre dans le système familial le message sous-jacent qu'elles impliquent.

Le psychanalyste S. LEBOVICI, quant à lui parle de « l'arbre de vie ». Ainsi, chacun d'entre nous serait porteur d'un mandat trans-générationnel : on peut dire que « notre arbre de vie plonge ses racines dans la terre arrosée du sang qu'ont laissé s'écouler les blessures provoquées par les conflits infantiles de nos parents. Cependant, ces racines peuvent laisser l'arbre de vie s'épanouir lorsqu'elles ne sont pas enfouies dans les profondeurs de la terre et donc inaccessibles ». En général, la filiation, marquée par des conflits névrotiques, n'interdit pas les processus d'affiliation culturelle. L'arbre de vie de l'enfant, c'est à dire le mandat attribué dans la transmission transgénérationnelle fait donc entrer dans sa vie psychique la génération des grands-parents par l'intermédiaire des conflits infantiles de ses parents qu'ils soient préconscients ou refoulés.

Des conflits plus actuels, et notamment des traumatismes, peuvent aussi s'inscrire dans cet arbre de vie. C'est le cas des traumatismes migratoires. Quand le poids de la transmission est trop lourd et sa traduction trop directe, la filiation se transforme pour l'enfant en une « pathologie du destin » (Coblence, 1996). Il y a alors « des fantômes dans la chambre d'enfant » (Fraiberg, 1999). Ce sont des visiteurs qui surgissent du passé oublié des parents et qui ne sont pas « invités au baptême ». Dans des circonstances favorables les fantômes sont chassés de la chambre d'enfant et regagnent leurs demeures souterraines. Mais dans certains cas défavorables, ces représentations du passé dans le présent envahissent les lieux et s'y installent, affectant gravement la relation de la mère et du nourrisson. C'est là que se situe l'enjeu thérapeutique : créer et co-créer avec la mère et son entourage, à partir de l'enfant partenaire actif de l'interaction, les conditions nécessaires pour identifier ces fantômes. Plus que de les chasser, il s'agit en réalité de négocier avec eux, de les humaniser. Encore et toujours fabriquer de l'humain quel que soit le traumatisme, en l'occurrence la rupture liée à l'exil.